Le Paraguay, vu de là-bas

 

Des mots à l’action…

les Art-terriens, le 17 avril 2011,

 

Le Pa’í est très occupé alors les repas sont des moments privilégiés pour parler un peu, et l’occasion pour nous de lui poser quelques unes des milles questions qui nous trottent dans la tête. Parfois, il nous propose de l’accompagner lors de ses sorties.

Ce soir-là, il a organisé une réunion avec les personnes référentes du quartier. Y participent aussi le Commissaire de police, des professionnels de la santé, un sociologue… une assemblée de tout âge. Cette réunion semble être une nouveauté. Le Pa’í Oliva ouvre la rencontre par une phrase : « Nous sommes dans un processus collectif ». Il explicite brièvement son propos par deux autres phrases : « Processus car nous avançons sur un long chemin qui n’a pas de fin ; Collectif car cette avancée doit profiter à toute la communauté ». Une introduction courte et efficace qui pose le contexte et laisse directement la parole aux acteurs du terrain.

Six groupes de réflexion sont formés autour des différentes thématiques soulevés au sein du quartier : l’eau, l’électricité, l’environnement, la santé, le travail, l’insécurité. Après un temps de discussion, chaque groupe présente devant l’assemblée les problèmes qu’ils ont relevés dans leur domaine et proposent des mesures concrètes d’action pour tenter de les résoudre. Nous nous répartissons nous aussi au sein des groupes. Nous notons dans les deux groupes où nous sommes qu’une bonne part de l’échange se réduit à énumérer les tourments sans aller jusqu'à essayer de les résoudre, que les peines personnelles prennent le pas sur les difficultés collectives… Cependant grâce à ce travail, les participants s’habituent à exposer les problématiques de leur quartier et des idées constructives sortent, malgré tout.

Sur l’insécurité, le nouveau commissaire explique que les services de police se sont beaucoup améliorés depuis quelques mois. Le commissariat a reçu un véhicule pour se déplacer et des effectifs plus importants pour patrouiller à moto. Il est su que des agents sont de connivence avec des trafiquants et des délinquants, et que ceux-ci ferment les yeux en échange des services d’une demoiselle soumise à la prostitution. Le commissariat fut régulièrement le théâtre d’orgies répugnantes et les habitants le savent. Il en résulte une absence totale de confiance entre la population et la police. Le nouveau commissaire annonce que la police ne peut travailler qu’en partenariat avec les habitants, et que lui-même s’engage à faire le ménage au sein de ses troupes afin de redorer le blason du commissariat pour engager une réelle coopération entre les agents et les habitants. C’est le seul moyen pour que les rues redeviennent sûres et que les gens puissent enfin se déplacer dans leur quartier même à la nuit tombée. L’avenir dira si les actes suivront les paroles…

art-terre - Bañado Sur

Au sein du groupe de l’eau, le sujet récurant est celui de l’augmentation de son prix et la nouvelle forme de sa facturation, basée maintenant sur la consommation plutôt que sur un forfait. Les familles, ne sachant jamais combien elles vont devoir payer, se retrouvent parfois en difficulté, d’autant plus qu’à défaut de payer, l’eau leur est coupée.

En écoutant parler les membres du groupe, nous avons l’impression que tous les foyers ont accès à l’eau courante et potable, ce qui contraste avec ce que nous avons vu dans le quartier. Etonné, nous posons la question. On nous explique que nombreuses familles n’ont pas accès à l’eau potable, celle-ci doivent alors simplement formuler une demande pour l’obtenir, car c’est un droit pour tous les foyers. Le problème, c’est que les familles en questions ont rarement accès à cette information.

Nous questionnons aussi au sujet du système d’évacuation des eaux, qui nous semble défaillant ou inexistant puisque plusieurs parties de Bañado baignent dans les eaux usées stagnantes, et sont propices aux maladies comme la dengue. Mais cela relève du groupe de la santé nous répond-on.

La fin de cette rencontre ouvre sur quelques propositions concrètes et une motivation générale : mobiliser plus de monde, informer les gens sur leur droit à l’eau potable, organiser un travail communautaire pour créer une économie locale (élevage, agriculture, distribution…), créer un centre de formation professionnel, exiger plus de conteneurs à ordures, recycler, développer une collaboration avec la police…

Le Pa’í conclue la rencontre comme il l’a introduit, par une idée simple mais essentielle : les meneurs ici présents ont la responsabilité de servir leurs confrères et non de se servir eux-mêmes. Être meneur n’est pas avoir le pouvoir sur les autres sinon une responsabilité envers les autres. Le Pa’í propose alors que ceux qui souhaite faire avancer leur quartier viennent prendre une petite serviette symbole de leur responsabilité. Lorsque les personnes qui ont fait le choix de s’investir viennent prendre leur serviette, le Pa’í leur dit « Usted tiene el poder de servir a los demas », que l’on pourrait traduire ainsi : « vous avez le pouvoir de rendre service aux autres ».

art-terre - le Pa'i

 

Cet énorme travail, le Pa’í l’effectue en plus de ses obligations religieuses de prêtre. Un soir, à la tombée de la nuit, nous le rejoignons à la Chapelle de San Blas, dans un secteur de Bañado très touché par l’insécurité. Quand nous arrivons, une vingtaine de personnes sont déjà assises en cercle dans la chapelle, avec parmi elles le Pa’í. Celui-ci propose aux personnes présentes de mener une partie des messes de la semaine suivante dans le cadre de la fête patronale, et c’est l’objet de cette réunion. Des volontaires vont prendre la parole autour d’extraits du Nouveau Testament et proposer une interprétation personnelle des propos cités. Suivent une série de questions préparées par le Pa’í, auxquelles les gens de l’assemblée pourront proposer des réponses, des points de vue et en débattre publiquement. L’objectif du Pa’í est de provoquer le dialogue et la réflexion entre les habitants, par les habitants eux-mêmes.

Le groupe se réunit donc ce soir pour se préparer, s’entrainer à lire, à comprendre, à se questionner, à s’exprimer en public… Le Pa’í laisse sa place officielle derrière le pupitre aux orateurs débutants. Au cours de la soirée, des personnes de tout âge, adolescents, adultes, anciens, parlent tantôt en Guarani, tantôt en Espagnol, et parviennent à surmonter leur appréhension face à l’assemblée. Au départ, les voix timides sont presque imperceptibles. Peu à peu, prenant un peu plus d’assurance, les volontaires parlent plus fort.

A travers l’éducation religieuse, le Pa’í amène les gens à interpréter concrètement les textes de l’Evangile par rapport à leur propre contexte de vie pour améliorer leur condition. Les textes bibliques sont utilisés comme des outils pour aider les habitants à comprendre leur environnement.


art-terre - le Pa'iNous observons en suivant le Pa’í, que sa démarche éducative pour « réveiller les consciences » ne se réduit pas à une théorie, mais transparaît effectivement dans chacune de ses actions. Le Pa’í ne s’inscrit pas dans la charité, il est au contraire très exigeant, bouscule les gens pour les amener à réfléchir, à s’exprimer, à s’engager de manière concrète. Comme il le dit lui-même, il ne cherche pas, à préparer et développer des idées, mais plutôt à préparer des personnes qui soient capables de se forger leur propre pensée. C’est ainsi qu’il donne à la population humble l’ouverture vers d’autres possibles, l’autonomie de penser par eux-mêmes et d’exprimer cette pensée en actions concrètes. Il est un peu comme un semeur de graines… aux gens ensuite de les cultiver.

 

Nous nous demandons où un homme peut-il trouver toute la ressource pour porter tant de projets et d’engagement ! Le Pa’í, lui, semble trouver cette énergie dans la relation avec les autres. Dès qu’il est en interaction avec les personnes, son sourire se diffuse, son engagement se propage et toute l’énergie positive qui en ressort se partage.

A bientôt,

Gaëlle et Fabien

 

 

retour à la liste des articles

Des mots à l’action…