Le Paraguay, vu de là-bas

 

Quotidien Sampedrano

les Art-terriens, le 20 mai 2011,

 

Notre visite au Paraguay est arrivée à son terme, et nous voilà tout juste de retour en France. Pendant notre séjour, nous avons été très occupés et nos écrits se sont fait dépasser par le temps. Mais comme nous voulons tout vous raconter, nous allons continuer d’écrire et de mettre en forme nos notes sur ce site, si bien que vous pourrez continuer à suivre l’aventure, même en différé. Peu importe puisque nous n’avons pas de scoop, juste la richesse du temps passé avec les gens.

 

 

art-terre - tatakuaLa maison que la famille de Pastor nous prête est une maison traditionnelle. Elle ressemble à une juxtaposition de quatre maisonnettes à pièce unique, dont les toits se rejoignent au-dessus d’un patio commun central. Les murs sont peints aux couleurs vives ; le sol est en briques rectangulaires. Le toit est en tuiles, à l’exception de la partie qui abrite le fond du patio, de taule, et qui a dû être rajouté plus tard pour élargir l’espace ombragé. Là, un puits devait jadis fournir l’eau, avant qu’elle ne soit distribuée directement au robinet. Puis un mur de planche sépare le patio du jardin, où l’on découvre des essences exotiques : goyave, citron vert, orange, pamplemousse. Une cahute à l’arrière de la maison servait de cuisine, on le devine à la noirceur des murs couverts de suie et à la cuisinière traditionnelle de brique qui s’est effondrée. Dehors, le four a bois, appelé tatakua, est toujours en bon état.  La maison est vide, mais Pastor nous amène l’essentiel : quelques assiettes, une plaque électrique, trois chaises… Après un bon coup de nettoyage, nous sommes installés, un peu sampedranos pour un temps.


art-terre - San Pedro

A l’entrée du quartier, deux boutiques vendent tout le nécessaire pour la vie courante. L’une s’est modernisée et ressemble à un supermarché. L’autre, conserve le cachet des petites boutiques de village. Nous nous fidélisons à cette dernière. Il y a toujours du monde pour discuter. Les vendeurs y sont chaleureux, ils portent même nos sachets remplis d’emplettes. Le fond de la boutique est une véritable caverne d’Ali Baba, on y trouve de tout posé en vrac sur les étagères, il suffit de fouiller ! Des chaussures et des sandales artisanales en cuir, des tongues, des bassines, de la corde, un filet de volley-ball, des ustensiles de cuisine, du fil et des pinces à linge… Il y a les œufs fermiers en vrac dans une bassine en plastique, bien meilleurs et plus colorés que les autres, comme le disent les gens. Dans un autre recoin se trouve l’étalage de produits frais, yaourts aromatisés, fromage paraguayen fermier, viande de première et seconde qualité. Le jeune serveur n’oublie jamais d’enlever les bouts de gras de la viande avant de peser. Ensuite, selon la demande du client, il coupe le morceau en fines tranches pour les milanesa, en petits cubes pour le tallarin


Dans la maison, n’ayant pas de frigo, nous devons nous fournir en glace, car l’eau du robinet n’est pas froide. Une autre petite échoppe, encore plus proche, nous approvisionne en pains de fraîcheur. La marchande nous demande des recettes françaises pour cuisiner ses légumes, et nous offre régulièrement de délicieuses bananes.

art-terre - caritoSouvent, le matin, Marcela passe avec son carito, une petite charrette que les gens utilisent ici pour transporter leurs marchandises. Elle vient de sa ferme avec ses produits frais : manioc, farine de maïs, pois, tomates… l’achalandage dépend de la récolte du jour. Comme Marcela, il y a beaucoup de vendeurs à San Pedro, certains en charrette, d’autres en moto-benne. Nous voyons même régulièrement un petit gars passer en vélo dans la rue, des bouteilles de lait plein son porte-bagages…



art-terre - feria campesina

 

Le samedi matin, la feria campesina est notre ultime lieu de ravitaillement. Il s’agit d’un marché qui permet aux petits paysans des alentours de vendre leurs produits en ville. On y trouve des légumes, de la viande, de la farine de maïs fraîchement moulue, des plantes médicinales ramassées dans la nature…

 

 

 

 

 

 

 

art-terre - San PedroLa majorité des gens se déplacent en deux-roues ; il faut voir ce que certains sont capables de transporter : avec une débroussailleuse sur l’épaule, un chargement de provision entre les bras… ou parfois à 5 sur une moto !  Nous nous laissons tenter et, avec l’aide de Marcelo, faisons l’acquisition d’une belle vieille machine. Les démarches sont simples : pas de papiers, pas d’assurance, pas de certificat de cession, pas de plaques d’immatriculation… La seule contrainte : éviter d’aller sur la route asphaltée au-delà de la sortie de la ville. Les premiers trajets sont hésitants, il faut dire que rouler sur des pistes de boue ou de sable n’est pas chose aisée. Mais l’assurance vient progressivement, et nous sommes bientôt capables de rouler, chargés de nos instruments. L’énorme avantage de la moto, est de pouvoir par exemple se rendre au bord de la rivière Jejui, à quelques kilomètres de là, pour pêcher, ce que nous faisons généralement le dimanche.


Nous passons trois semaines dans cette jolie maison, avant qu’elle ne trouve des locataires à qui nous devons laisser la place. art-terre - casitaNous bougeons alors dans une petite pièce voisine, dépourvue d’eau et de toilettes. Nous achetons une bassine pour les lessives et les vaisselles. Pour nous laver, la famille d’à côté nous prête cordialement sa salle de bain. Les nouveaux locataires, un groupe d’ouvriers mobilisés sur le chantier de construction du futur tribunal du département, nous convient eux aussi à utiliser leur salle d’eau, qu’ils se partagent pourtant déjà entre 17 gaillards ! Nos voisins sont donc de bonne compagnie. Les enfants du quartier, curieux, viennent jouer à l’ombre de notre manguier ou écouter lorsque nous répétons la musique. Nous croisons régulièrement les ouvriers, tantôt chez eux lorsque nous allons remplir notre bassine, tantôt chez nous, quand ils viennent se ravitailler en citrons et pamplemousses devant notre maisonnette. Les animaux du quartier, eux aussi, nous rendent visite : une truie avec ses gorets, des poules suivies par les coqs, des pouliches et leurs poulains, des chiens… Il y a notamment une vache, visiteuse quotidienne, qui montre clairement, à la manière décidée dont elle passe la barrière et se dirige droit au fond de notre jardin, son habitude de venir brouter là.


art-terre - casaTrès tôt, chaque matin avant que le soleil se lève, nous entendons les ouvriers blaguer autour du feu de bois sur lequel ils préparent leur petit déjeuner. Ça demande du temps de cuisiner ainsi ! Les maisons n’ont pas de vitres aux fenêtres, ce qui crée une proximité avec l’entourage, qu’il soit les voisins ou la nature. Le soir, la fatigue conduit les ouvriers au lit assez tôt, certains se partagent les pièces de la maison, d’autres dorment dans des hamacs au fond du jardin, les derniers s’allongent dans le patio central de la vieille maison. Nous notons que beaucoup ne possèdent pas de matelas et dorment à même le sol, chacun sur une simple couverture qui les isole de la brique. Un soir, les gars nous invitent à manger des poissons qu’ils ont pêchés lors de leur jour de congé. La plupart viennent de la région d’Asunción et ne rentrent pas chez eux à la fin de chaque semaine. Un autre soir, nous leur jouons quelques chansons, dont quelques polkas paraguayennes que nous venons d’apprendre. Et là, plusieurs se lèvent pour danser, d’autres se mettent à chanter, c’est la rigolade générale, attirant des gamins des alentours. Il y a de l’ambiance dans le voisinage !


Régulièrement, nous passons nos soirées à la cancha de volley où nous retrouvons Marcelo et ses amis, quand celui-ci n’étudie pas. En effet, Marcelo a repris ses études et, après sa journée de travail, se rend à ses cours du soir. Le volley est un bon moyen pour se défouler après le travail. La cancha est autogérée par les gens qui l’utilisent. Lorsqu’une ampoule qui permet d’éclairer le terrain ou un ballon éclate, le groupe se cotise pour acheter et remplacer l’objet défaillant. Selon l’humeur et le temps, parfois il y a du monde et parfois le lieu est vide, rien n’est jamais fixé. La plupart du temps, nous jouons de façon amicale, mais il arrive que des parties soient jouées pour les paris, par exemple quand se joignent aux habitués des jeunes venant en charrette d’une zone plus retirée… Le cheval attend patiemment que son propriétaire ait terminé en broutant l’herbe qui borde le terrain. De toute manière, l’argent en jeu sert généralement à payer un bon coup que se partagent tous les participants.


art-terre - futbol

Des matchs de football volent parfois la vedette au volley, et les gens se retrouvent alors devant le petit écran plutôt que sur la cancha. Les téléviseurs sont installés sur les perrons des portes pour que le plus grand nombre puissent en profiter et les téléspectateurs s’installent sur des chaises, sur le trottoir. Lors de matchs importants, les supporters de l’équipe gagnante se rejoignent pour la caravana. Ils tournent dans la petite cité en voiture et en moto, en klaxonnant et en brandissant des drapeaux aux couleurs des vainqueurs. Les sonos surpuissantes dans les gros 4x4, la foule en deux roues, les gens qui dansent et la bière qui coule à flot nous donnent le tournis !


art-terre - caravana

 

Après l’heure du volley, nous filons parfois sur la place, entre amis, à la terrasse de K-serita pour manger une empanada à la viande, un morceau de sopa ou de chipa guasu. Quand l’ambiance prend, nous commandons de la bière. La bouteille d’un litre est conservée au frais grâce à une sorte de carapace en plastique. Un verre commun tourne de main en main et permet à chacun, autour de la table, de se désaltérer à sa guise. Ici, la boisson est presque au même prix, qu’elle soit achetée dans un commerce ou en terrasse, alors on n’hésite pas à boire un coup en terrasse. En fin de semaine, la musique bruyante est assurée par les gros 4x4 équipés d’enceintes qui crachent leurs décibels par le haillon arrière resté ouvert. Il arrive que plusieurs sonos rivalisent, et la démonstration de puissance sonore finit par créer un tintamarre diffus de mauvaise musique commerciale.  art-terre - KseritaA la terrasse de K-serita, on se raconte des blagues, on parle sérieusement aussi… on regarde passer les motos dont on salue les passagers d’un « hop!» et d’un signe de la main… dans un sens puis dans l’autre… une fois, deux fois, trois fois… « décidément ces deux-là auront passé leur soirée sur leur bécane ! », l’un conduisant, l’autre envoyant des messages de son téléphone portable. Au centre de la place, la police montée veille à tout ce petit monde. C’est mieux car il arrive que des idiots traversent la place piétonne lancés sur leur moto folle, alors que des bambins y font leur premiers pas… Pour les derniers fêtards, le tinglado, une sorte de hall polyvalent situé derrière la mairie, se transforme tous les samedis soit en une discothèque publique jusqu’au petit matin. Pendant la période du Carëme, il n’y a pas de fiesta au tinglado, alors les jeunes se retrouvent avec leurs sonos, leurs motos et leur boisson sur la station service située à la sortie de la ville… Nous nous y rendons une fois, pour découvrir le phénomène, mais l’inconscience de quelques jeunes idiots saouls sur leur moto nous met mal à l’aise. Nous préférons la fête au tinglado !


En deux mois, nous avons le temps de nous acclimater au mode de vie et adoptons petit à petit le rythme et les fonctionnements locaux, à la fois très ritualisées et pourtant imprévisibles.

A la relative fraîcheur matinale, on boit le maté bien chaud. Le petit déjeuner nutritif vient un peu plus tard dans la matinée. Le moment du terere glacé intervient pour réhydrater les corps dès que commence la forte chaleur, mais attention, ne jamais le boire juste avant ou juste après les repas ! Le menu du midi est copieux et clôturé par un jus naturel dont le choix du fruit dépend des aliments mangés. Par contre, nous prenons l’habitude de ne plus boire en mangeant. Ensuite, c’est l’heure de la sieste, pour ceux qui peuvent. En milieu d’après-midi, les odeurs de chipas salées ou de torta sucrée toutes chaudes appellent au goûter. Enfin, le dîner se résume à un casse croûte simple ou une soupe.

Au sein de ces journées très ritualisées, l’imprévu a pourtant une part primordiale. Par exemple, les gens vivent proches les uns des autres, alors tout le monde se rend visite à l’improviste, s’annonçant à l’entrée en frappant des mains à défaut de sonnette. La météo influence aussi les activités et le rythme de la journée, si bien qu’en cas de pluie, les gens restent chez eux, les cours sont suspendus, la partie de volley aussi, et le maté remplace le terere… Les motards portent le casque pour se protéger des gouttes s’ils doivent se déplacer ; de toute façon, il y en a très peu car les routes de terre deviennent vite impraticables ! Si, au contraire, la journée est belle sans être trop chaude, alors les paysans vont travailler aux champs, on va à la pêche, on organise un asado, on va jouer au volley…


art-terre - cancha


L’argent est aussi géré dans cet état d’esprit : quand il y en a, on en profite, quand il n’y en a plus, on s’arrange. Si les récoltes sont bonnes, on mange beaucoup, si elles sont mauvaises on fait ceinture, nous explique un paysan… De manière générale, lorsqu’un événement survient, et qu’il est jugé plus important qu’un autre déjà prévu, il prend sa place, en toute logique. Quand une personne ne vient pas à un rendez-vous, c’est donc qu’elle a une très bonne raison : une autre priorité !

Mais quelle est la priorité ? Aller au travail, ou bien prendre soin de son enfant malade ? Profiter de la visite exceptionnelle d’un proche, ou aller à son entrainement de foot ? Tout ça n’est pas établi, ça dépend des gens, ça dépend des moments… on ne peut y répondre de manière générale. Ce que nous notons, c’est que cette moindre projection génère une spontanéité et une générosité incroyables. Quand les gens sont là, ils sont vrais et entiers, c’est leur priorité du moment ! Malgré les contraintes horaires du travail, de l’école, des réunions…, leur gestion spontanée des priorités donne de l’élasticité aux heures. On se sent moins prisonnier du temps…

C’est un peu comme la différence entre « je n’ai pas eu le temps », et « je n’ai pas pris le temps »… En ce sens, prenons le temps d’avoir le temps.


A bientôt

Gaëlle et Fabien

 

 

 

retour à la liste des articles