Le Paraguay, vu de là-bas

 

Des mondes paysans

les Art-terriens, le 18 octobre 2011,

 

Notre visite au Paraguay est arrivée à son terme, et nous voilà de retour en France. Pendant notre séjour, nous avons été très occupés et nos écrits se sont fait dépasser par le temps. Mais comme nous voulons tout vous raconter, nous allons continuer d’écrire et de mettre en forme nos notes sur ce site, si bien que vous pourrez continuer à suivre l’aventure, même en différé. Peu importe puisque nous n’avons pas de scoop, juste la richesse du temps passé avec les gens.

 

 

Notre ami Pastor possède une ferme à une trentaine de kilomètres de San Pedro. Cela faisait quelques temps qu’il promettait de nous y amener. Un matin, à quelques jours de notre départ, il vient nous chercher au volant de son 4x4. C’est parti pour une journée au « campo » ! Une de ses proches amies, Reina, est aussi de la partie. Elle travaille dans une boucherie, alors elle s’est occupée des provisions pour l’asado du midi.

Nous prenons la route asphaltée sur quelques kilomètres, puis la quittons pour emprunter une piste de terre. Le chemin traverse plusieurs villages. Les gens nous saluent et nous remarquons que Pastor semble bien connu ici. Il nous explique en effet qu’il est parvenu à obtenir des aides internationales pour creuser un puits, construire un petit château d’eau et acheminer l’eau courante dans toutes les habitations de cette communauté. Alors les habitants lui sont bien reconnaissants.

Quand il était jeune, ses parents n’avaient pas de véhicule pour se rendre de leur maison de San Pedro à la ferme familiale. Alors ils y allaient à cheval et il leur fallait 8 heures ! Du coup, même si la piste est bien cahoteuse, notre chauffeur prend cela avec philosophie, armé qu’il est de la patience acquise à cette époque. Pastor nous explique qu’il a commencé à travailler dans l’exploitation de ses parents à 17 ans, quand il a fini l’école. Puis, à 20 ans, il est parti travailler dans une entreprise privée pendant une quinzaine d’années et en a profité pour étudier à l’Université. Quand il est revenu à sa ville natale, il a reprit l’exploitation de ses parents avec l’un de ses frères. Il fut parallèlement élu maire de San Pedro en 2000, puis de nouveau en 2005. En 2010, il a dû se retirer parce qu’on ne peut pas cumuler plus de deux mandats successifs au Paraguay. Aujourd’hui, il continue de conduire la ferme, mais la fin de son mandat de maire lui laisse beaucoup de disponibilité. Il est comme un oiseau libre volant vers d’autres horizons et d’autres projets… un nouveau chapitre s’ouvre.

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La piste longe, pendant plusieurs kilomètres, une forêt d’eucalyptus bien alignés qui dénote avec l’environnement et la végétation ambiante. Pastor nous explique qu’il s’agit d’une bande de forêt, large de 300 mètres, plantée tout autour d’une énorme exploitation de quelques 20 000 hectares, agissant comme un rempart pour la protéger des invasions de petits paysans. Cette estancia est la propriété d’un descendant d’anglais venu s’installer au Paraguay. L’herbe ne poussant pas sous cette forêt aérée et rectiligne, toute personne s’y introduisant est vite repérée. Et d’autre part, l’exploitation est bien protégée des regards extérieurs. Derrière tout cela, il y aurait une centaine de milliers de bêtes !

De la piste, nous tournons sur un petit chemin plus chaotique. La boue, piétinée par les pas des troupeaux, est si meuble que la conduite se transforme vite en un véritable exercice de pilotage ! Il nous faut prendre de l’élan pour passer ce bourbier, et le 4x4 finit par le franchir alors que des gerbes de boue s’envolent à son passage. Entrer dans la finca de Pastor, ça se mérite ! L’endroit est magnifique. La maison familiale surplombe une large prairie verte où se promènent quelques chevaux, des zébus, des cochons, des canards et des poules. Elle s’organise autour d’une terrasse centrale qui, semble-t-il est l’espace de vie commun. Une grande table, quelques fauteuils le long des deux mûrs, et un portrait du défunt Papa qui veille sur sa descendance et ses terres. De part et d’autre de la terrasse, il y a la cuisine ainsi que trois chambres à coucher. Adossée à l’arrière de la maison, on trouve la fameuse parilla pour préparer les bons asados. Une petite prairie amène à des vergers de citronniers et d’orangers dont les branches plient sous le poids des fruits. Ça ressemble à un petit paradis.

Nous préparons l’asado en savourant une bière fraîche. Pastor cueille quelques citrons dont il se sert pour nettoyer la grille de la parilla. Ça semble être un excellent dégraissant ! Bientôt, la grille est propre, les braises sont rouges, la viande grille, et nous nous rassasions, attablés sur la terrasse en riant et en contemplant la belle vue de part et d’autre de la maison. Nous remercions notre hôte en jouant quelques airs en hommage au Papa qui nous observe de son cadre.

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Puis nous partons visiter l’exploitation. Nous rendons visite aux ouvriers qui sirotent un terere devant leur maison. Ce sont eux qui s’occupent du quotidien de la ferme. A l’intérieur, un perroquet nous observe en tordant son cou. La dame cuisine sur une cuisinière au feu de bois traditionnelle, construite en brique, et qui comprend un espace pour le feu sous les gamelles, ainsi qu’un four. Pastor nous propose de grimper sur les chevaux dont les gars se servent pour aller surveiller les troupeaux. Nous ne nous faisons pas prier ! Il nous guide un peu plus loin, où quelques bassins accueillent un élevage de poissons. Il nous explique qu’un de ses frères a repris cet élevage, puis l’a finalement développé ailleurs, plus près de San Pedro et de la route asphaltée. Aujourd’hui, il élève des poissons pour le commerce intérieur du pays, mais son projet actuel est d’élever une autre espèce pour alimenter le marché de l’exportation vers l’Espagne, qui rémunère mieux.

Après quelques galops dans la prairie, nous laissons les chevaux pour que Pastor nous emmène en 4x4 faire le tour du propriétaire. L’exploitation comprend 500 hectares dont un peu plus de la moitié sont des prairies où les animaux, des vaches et des zébus, sont en semi-liberté. L’herbe paraguayenne, qu’il appelle pasto, est bien différente de l’herbe de chez nous, elle ressemble un peu à des joncs. Elle est la nourriture principale du bétail, à laquelle s’ajoute du maïs et de l’ensilage pour l’engraissement. La majorité du bétail part à l’exportation, mais Pastor ne sait pas vers quels pays puisqu’il vend sa production à des intermédiaires. L’autre moitié de l’exploitation est occupée par de la forêt tropicale aux arbres gigantesques et à la végétation très dense. Pastor exploite un peu le bois tropical pour rentabiliser cet espace. Son père aussi le faisait, pour preuve la photo d’une énorme charrette qu’il utilisait pour transporter les énormes troncs. La forêt tropicale est le refuge des moustiques, nous nous en rendant compte en faisant une petite ballade à laquelle nous mettons vite un terme. Il ne fait pas bon s’y attarder !

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De retour à la ferme, le frère de Pastor est arrivé. Nous le rejoignons à la maison des ouvriers pour partager un terere tous ensemble. La discussion va bon train, nous parlons des 7 Merveilles du monde. Nous parlons des différences entre les civilisations du monde… il y a celles qui construisent des merveilles, symboles de leur puissance, au détriment d’innombrables vies humaines et qui laissent ainsi une empreinte indélébile dans l’Histoire de la planète. Il y a celles qui construisent une harmonie directe avec la Nature et en ont une connaissance incroyable qu’elles transmettent oralement mais qui, une fois rayées de la surface du globe, tombent dans l’oubli de l’Histoire de la planète, au détriment des civilisations futures qui auraient pu s’enrichir de leur enseignement…

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Au moment de partir, Reina se fait offrir deux petits porcelets à élever dans sa maison de campagne. Nous les attrapons, les fourrons dans des sacs de toile de jute et grimpons dans la voiture qui part en slalomant au milieu du troupeau de zébus qui emprunte le chemin dans le sens inverse. Le passage difficile de la boue nous arrête, le 4x4 est embourbé comme il faut ! La famille que nous venons de quitter nous vient en aide au volant d’un tracteur. Pendant ce temps, les cochons, énervés par tant de remue ménage, s’agitent jusqu’à venir à bout de leur prison de toile. Ils passent le bout de leur groin au travers, puis leur tête entière… il faut dédoubler de force pour pouvoir les maintenir en place. La voiture est tirée hors du bourbier et nous reprenons notre route. L’un des porcelets se calme tandis que l’autre continue sa lutte jusqu'à s’endormir d’épuisement ! La nuit est tombée quand nous rejoignons San Pedro. Nous allons nous reposer tandis que Pastor n’a pas encore terminé sa journée : il doit maintenant voyager jusqu’à la capitale pour des rendez-vous le lendemain !

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L’envie de connaître aussi la réalité des petits paysans, nous amène à rencontrer Luis, à qui nous promettons de venir visiter sa ferme située à quelques kilomètres de San Pedro. Les fortes pluies rendent la route impraticable et le travail au champ impossible, alors nous devons à plusieurs reprise remettre notre visite. Enfin, un matin de très bonne heure, nous enfourchons notre moto pour nous y rendre. La piste est encore mouillée, boueuse et donc très glissante. La conduite de notre petite moto est un vrai jeu d’équilibre qui rend ses quelques kilomètres bien longs ! Il s’agit de gérer la vitesse et l’équilibre. Un coup d’accélérateur mal dosé fait immédiatement partir notre roue arrière toute lisse en travers, l’entrée trop lente dans une flaque de boue nous oblige à mettre le pied à terre et à patauger…

Nous arrivons à destination alors que Luis et sa femme nous attendent. Ils vivent dans une maisonnette construite en torchis avec un toit de tuiles. La cuisine est une autre petite construction juxtaposée à la maisonnette, mais construite de planches et recouverte d’un toit de chaume. Petit à petit, Luis achète des briques en prévision de se construire une nouvelle habitation plus confortable.

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Luis possède quelques hectares de terre sur lesquels il cultive du manioc, des haricots, du maïs, des patates douces. Il a aussi, en bordure des ses parcelles, de nombreux arbres fruitiers : bananes, mangues, pamplemousses, oranges, citrons, goyaves, carambolas… Il nous explique que la majorité de sa production est destinée à sa propre consommation et à celle de sa famille. Luis ne possède pas de vache, seulement quelques volailles. Il n’a pas non plus de cheval, c’est trop coûteux, alors il marche beaucoup. Avant, il allait vendre des produits aux habitants de San Pedro, soit directement chez eux, soit au marché local, comme le font de nombreux petits paysans. Mais il a arrêté car il trouve que les prix de vente ne valent plus la peine. 1.000Gs (0,15€) le kilo de manioc, ça ne rapporte pas de quoi vivre ! Depuis quelques années maintenant, la petite maison est alimentée en électricité et en eau courante. Ça simplifie la vie !

Outre les produits cultivés, ce qui permet de survivre, c’est la solidarité entre les membres de la famille. Un des fils de Luis est parti travailler en Espagne et envoie régulièrement de l’argent à sa famille restée au pays. Un autre travaille à la ville et vient aider lui aussi. Du coup, Luis et sa femme ont pu acheter récemment un réfrigérateur et une petite moto, qui coûte bien moins cher qu’un cheval.

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Quand il ne travaille pas ses terres, Luis travaille chez des voisins qui ont des exploitations plus grandes. Par exemple, en ce moment, c’est la récolte du sésame et Luis aide dans une ferme voisine. Il s’agit de couper les pieds de sésame et les nouer ensemble à la verticale en forme de tipis pour les faire sécher au soleil. Quand les enveloppes contenant les graines sont sèches, il s’agit de retourner les tiges pour faire tomber les graines au-dessus d’une bâche. La récolte est délicate car la plante à peine touchée libère les petites graines, une personne non averti ferait tout tomber au sol sans espoir de récupérées quoique ce soi.


Aujourd’hui, Luis nous propose une journée de travail détente rencontre. Nous allons l’aider à semer le maïs. Tout en discutant, nous disposons minutieusement deux ou trois graines de maïs dans chaque petit trou que Luis creuse préalablement à l’aide d’un bâton de bois. Dans trois mois, le maïs sera prêt !  Ici au Paraguay, on peut récolter plusieurs fois dans une année, car il n’y a pas de grands froids et le climat tropical, chaud et humide, favorise la pousse toute l’année. Le manioc demande encore moins d’effort que le maïs, pas besoin de conserver ni faire sécher des graines, il suffit de couper un bout de racine et de le planter un peut plus loin !

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Luis n’a pas l’habitude de parler espagnol, le guarani étant sa langue maternelle. Mais il fait de gros efforts pour que nous puissions partager au maximum nos idées. Il nous explique sa vision du Paraguay, de la politique. Il nous raconte que lors des élections, les politiciens parcourent les campagnes pour amasser des voix. En échange d’une promesse de vote pour leur liste, ils offrent quelques 30.000 ou 50.000Gs (5 à 8€) aux familles. Et pour être certains que les gens votent pour eux, ils affrètent des bus aux couleurs de leur parti. Les personnes se voient rendre leur passeport une fois qu’ils sont bien allés voter. Ce que nous explique Luis nous choque, mais ici, c’est pratique courante, et c’est la seule solution pour être élu ! Luis ne cautionne pas cela et n’y participe pas. Mais pour certaines familles qui sont plus dans le besoin, le petit pécule ainsi reçu importe bien plus que le nom de celui qui va gouverner la municipalité, le département ou le pays.

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A 10h c’est la pause. La femme de Luis a mijoté du foie en sauce accompagné de petits beignets salés. Un vrai régal ! Elle ne parle pas le castillan, alors c’est à notre tour de dire les quelques mots que nous connaissons en guarani. Les rires, les sourires, les mimiques et le regard en disent alors suffisamment pour passer un bon moment ensemble. Après nous être rassasiés, nous retournons discuter et semer le maïs à la chacra de Luis. Puis, quand vient midi, nous nous arrêtons de nouveau pour revenir à la maison. Nous nous installons pour boire le terere sur un lit dont le cadre est en bois et le matelas constitué de bandes de cuir brut tressées autour de la structure. Luis nous explique que ce sont les meilleurs lits qui soient, car l’air circule entre le cuir et permet à celui qui dort de résister aux très chaudes nuits de l’été. Pendant ce temps, trois femmes se sont rejointes pour laver leur linge, qu’elles frottent énergiquement sur une table et rincent dans de larges bassines métalliques posées à même le sol, tout en discutant et en riant. La corvée de la lessive est plus sympathique quand on est à plusieurs plutôt que chacune chez soi ! La femme de Luis termine la préparation du repas. A l’occasion de notre visite, leur fils est venu nous rejoindre et l’on se retrouve tous autour de la table. Nous dégustons un excellent tallarin, un plat de viande en sauce servi sur des pâtes. Nous imaginons que la famille ne mange pas de la viande tous les jours, et qu’ils ont voulu nous accueillir de la meilleure façon. Après le repas, nous sommes prêts à retourner aux champs, mais Luis nous dit qu’il fait trop chaud et que l’après-midi sera pour la détente. De plus, précise-t-il, ce n’est pas une journée pour travailler mais bien pour partager. En remerciement, nous jouons quelques airs de musique. Des rires et quelques pas de danses amusés animent notre public. Nous passons un très beau moment. Nous nous connaissons depuis quelques heures et, grâce à l’intérêt et à l’écoute de chacun, aux nombreuses petites attentions mutuelles, le courant passe de manière incroyable.

Avant de partir, Luis veut nous montrer son dernier champ. Il a reçu des aides financières pour installer une culture de stevia. Il a pu faire creuser un puits, aménager une réserve d’eau étanche et installer un système d’irrigation continue avec des tuyaux qui quadrillent tout le champ pour arroser les pieds de la nouvelle plante en vogue. Il nous explique qu’une entreprise va lui acheter sa production pour faire des sodas. C’est tout nouveau, Luis n’a pas encore eu le temps de faire sa récolte. C’était une opportunité, il l’a saisie en espérant que ça améliorera les conditions de vie de sa famille.

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Nous repartons sur notre petite moto vers la ville. Nos séjours au campo nous ont permis de découvrir deux réalités de la vie paysanne au Paraguay. D’abord, celle de Pastor, qui dirige une ferme de moyenne taille et peut s’offrir un niveau de vie qui lui permette de voyager, de se déplacer en voiture, de mener des projets en s’appuyant sur la coopération internationale… Puis celle de Luis, petit paysan dont les quelques hectares ne suffisent pas à faire vivre sa famille, et qui doit s’appuyer sur les revenus d’un de ces fils émigré en Europe. Ce ne sont que deux exemples, malheureusement, nous n’avons pas eu l’opportunité de rencontrer de gérant d’énormes exploitations comme il en existe au Paraguay.

Nos séjours au campo nous ont aussi permis de comprendre pourquoi, à San Pedro, tous nous disaient « ici c’est une vie citadine » alors qu’en voyant les charrettes, les rues de terre, les personnes assises le long de la rue pour discuter… nous avions la sensation d’être dans un village. Nos références ont changé… nos impressions aussi… ce qui arrivera encore et encore d’ailleurs !

 

 

 

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